- AULNAIES
- AULNAIESIl existe une quinzaine d’espèces d’aulnes. Ce sont des arbres ou arbustes des régions froides de l’Ancien et du Nouveau Monde, surtout de l’hémisphère Nord. Les peuplements denses de ces végétaux, ou aulnaies, occupent les sols humides ou frais, calcaires ou non. Les aulnaies forment des forêts plus ou moins mélangées en plaine, alors qu’en haute montagne ou à proximité de l’Arctique il s’agit de fourrés denses, parfois impénétrables. Les aulnaies américaines sont tout à fait comparables aux formations européennes homologues décrites ci-après.1. Les aulnesL’aulne (Alnus ) appartient comme le bouleau, le charme et le coudrier à la famille des Bétulacées; dans cette famille, le genre Alnus est caractérisé par ses fleurs femelles en chatons épais, ligneux après fructification et simulant une minuscule pomme de pin (un centimètre, rarement plus). Les racines des aulnes hébergent dans des nodosités un champignon (Frankia ) fixateur d’azote.On distingue parmi les aulnes de France et d’Europe (régions arctiques exceptées):– Aulnes à bourgeons obtus et pédonculés, à chatons femelles de la grosseur d’une noisette, et mêlés aux chatons mâles:a ) feuilles arrondies au sommet, vertes et pratiquement sans poils; jusqu’à vingt mètres de haut: Alnus glutinosa ;b ) feuilles aiguës, velues et grisâtres sur leur face inférieure, arbres plus petits (souvent moins de dix mètres): A. incana .– Aulnes à bourgeons aigus:a ) bourgeons sans pédoncules; chatons femelles petits, séparés des chatons mâles; arbustes (deux mètres au plus):feuilles velues en dessous et aiguës: A. viridis ;feuilles glabres, visqueuses et peu aiguës: A. viridis var. suaveolens ;b ) bourgeons pédonculés; chatons femelles de la grosseur d’une noix, mêlés aux chatons mâles; feuilles en cœur; arbre moyen: A. cordata .Habitat des aulnesEn plaine, le seul aulne spontané est Alnus glutinosa (aulne glutineux), commun dans les bois humides, où il forme les aulnaies typiques, et dispersé le long des cours d’eau; dans certaines régions du nord de la France (Champagne, Picardie), il peut croître sur des terrains calcaires relativement secs. On peut cependant rencontrer d’autres aulnes introduits (cf. chap. 3) dans des reboisements en terrains frais ou secs: Alnus incana (fréquent) et A. cordata (Pays basque).En basse ou moyenne montagne (jusqu’à la partie supérieure de l’étage montagnard de l’est de la France), l’aulne blanc ou «de montagne» est commun dans les bois humides ou frais; il est fréquent sur les alluvions, notamment calcaires, qu’il contribue à fixer. A. cordata croît sensiblement à la même altitude dans les forêts de Corse et du sud de l’Italie.À l’étage subalpin des Alpes, sur les pentes déboisées fraîches et en bordure des torrents, l’aulne vert (Alnus viridis ) forme des fourrés épais, envahissant les prairies abandonnées et jouant un rôle important dans la dynamique des avalanches. La variété suaveolens de l’aulne vert est propre à la Corse (endémique); comme il n’existe pas d’arbres à l’étage subalpin, elle forme des brousses denses de grande étendue.2. Aulnaies des grandes vallées alluviales ou tourbeusesL’aulnaie-peupleraie, groupement en expansionElle accompagne les plantations de peupliers établies sur les fonds plats, alluviaux ou plus souvent tourbeux, des grandes vallées, et parfois, plus localement, de vallons secondaires comme ceux du bois de Meudon près de Paris. On l’observe dans toute la plaine française, notamment dans le Bassin parisien.Il s’agit d’une forêt anthropique, c’est-à-dire établie à la suite de l’action humaine, bien que la plupart des espèces qui y croissent soient spontanées. À l’origine, un marécage généralement peu ou pas boisé est peuplé d’une végétation où prédominent les hélophytes, c’est-à-dire les hautes plantes herbacées à rhizomes, fixés dans la vase; roseaux divers, reines-des-prés, etc. L’homme y plante des peupliers, ce qui nécessite généralement un drainage [cf. TOURBIÈRES]. En même temps que ces peupliers grandissent, ils modifient progressivement l’intensité lumineuse qui parvient au sol, et permettent ainsi l’installation des plantes de l’aulnaie-peupleraie moins exigeantes en lumière: le peuplement héliophile s’est transformé en un peuplement forestier.La strate arborescente est dominée par les alignements de peupliers, hybrides stériles de Populus nigra , indigène, avec des peupliers américains (P. deltoides , etc.). En sous-étage se sont introduits des arbres de seconde grandeur: l’aulne glutineux est accompagné de peupliers indigènes (P. nigra, P. tremula ), du frêne et parfois de quelques grands saules (Salix alba ). L’ensemble forme une forêt d’abord assez claire et irrégulière, dense à la fin de son évolution (peupleraie âgée).La strate arbustive, dense, comporte des saules (Salix cinerea, S. fragilis ) déjà présents dans le marais initial, des coudriers, aubépines, prunelliers, etc., très souvent revêtus de nombreuses lianes (houblon, douce-amère, liseron des haies...) formant par endroits des fourrés inextricables qui éliminent les plantes herbacées.La strate herbacée présente, surtout dans les trouées relativement bien éclairées, une abondance de hautes herbes à tiges dressées. Les unes existaient dans le marais non boisé: ce sont des relictuelles (Arundo phragmites ou roseau commun; baldingère: Phalaris arundinacea , grands Carex ...). D’autres sont des pionnières de la forêt (angélique, Stachys silvaticus ...). Beaucoup sont des plantes de milieux riches en azote, fréquentes dans tous les milieux modifiés par l’homme (alliaire, Crisium oleraceum , eupatoire, grande consoude, ortie dioïque...), parfois exotiques (grands asters et Impatiens fulva en particulier).La plus grande partie de ces plantes a été amenée involontairement par l’homme, au cours des travaux de plantation et d’entretien, ainsi que par les animaux. Ainsi, le gui est plus fréquent en lisière et au sommet des peupliers.Le nettoyage des peupleraies (coupe du sous-étage) ou l’exploitation totale, permet aux grandes herbes de reprendre vigueur. On parle alors d’un stade régressif, marqué notamment par de hautes plantes épineuses: cardères, Cirsium palustre ...; de nouvelles plantations reconstitueront alors l’aulnaie-peupleraie.Si le sous-étage forestier est respecté, le dessèchement du sol s’accentue, et la végétation forestière devenue très dense se rapproche de celle de l’ormaie rudérale fraîche, puis de la chênaie-charmaie. À ce moment, les grandes plantes herbacées et les lianes ont totalement disparu.Il y a là un exemple typique de l’évolution d’un peuplement herbacé vers un peuplement forestier dense: une telle évolution est dite progressive; naturellement très lente, elle est ici accélérée par l’homme.Aulnaies spontanées des grandes valléesDeux groupements forestiers naturels (non anthropiques) peuvent être observés, d’ailleurs assez rarement, dans des conditions comparables à celles de l’aulnaie-peupleraie:– Sur tourbe très mouillée, non ou peu acide (pH 閭6), le taillis tourbeux (aulnaie turficole): vallées de la Somme, de la basse Seine, etc. Il est formé d’un taillis bas et dense d’aulne glutineux, de nombreux saules (Salix triandra, S. cinerea ...), de bourdaine, etc., riche en lianes et arbustes fruitiers disséminés par les oiseaux (groseillier, cassis); sa strate herbacée comporte de nombreuses fougères, notamment l’osmonde, Polystichum thelypteris (espèce caractéristique), et des carex, surtout C. paniculata , aux touffes à port de palmier (touradons). Ce type de taillis résulte généralement de l’invasion d’un marécage tourbeux par les arbustes (d’abord les saules); souvent, il a tendance à s’acidifier et évolue vers l’aulnaie à sphaignes, surtout quand il est proche d’un massif forestier sur sables (Rambouillet).– Sur alluvions, également à pH 閭6, il subsiste, dans les vallées du nord et de l’est de la France, une aulnaie caractérisée surtout par l’orme blanc (Ulmus levis ) et le merisier à grappes (Prunus padus ), arbres médio-européens. Cette aulnaie alluviale, aujourd’hui à peu près détruite (remplacée par l’aulnaie-peupleraie), résulte de l’évolution progressive de la végétation des dépôts de crues: le premier stade est l’association à Bidens , le second la saussaie à saule pourpre.Ces deux groupements sont dépourvus de valeur économique, mais ce sont les derniers restes de la végétation «primitive» et, à ce titre, ils méritent protection.3. Aulnaies forestièresAu contraire des précédentes, elles sont localisées dans les grands massifs forestiers, le long des ruisseaux et des vallons humides et autour des sources. Deux ensembles aulnaie-frênaie et aulnaie-saussaie s’opposent par la réaction du sol et de l’eau.Aulnaie-frênaie mésotrophe-eutropheGroupement typiqueIl est très répandu dans toutes les grandes forêts sur sol riche mais non tourbeux (argileux ou marneux) de pH 閭6, notamment à l’ouest et au nord de Paris. C’est une forêt dense et de bonne croissance dont les essences principales (futaie et taillis) sont l’aulne, le frêne et le chêne pédonculé; en sous-étage, divers arbustes (viorne obier, groseillier), mais peu de lianes. La strate herbacée est la plus caractéristique avec de grands Carex (notamment C. pendula ), Festuca gigantea , les dorines (Chrysosplenium ) et de très nombreuses plantes forestières d’humus doux (Primula elatior, Melandryum silvestre, Veronica montana ...), croissant aussi dans la chênaie-charmaie, type forestier succédant par drainage à l’aulnaie-frênaie.VariantesDans certains cas, ce groupement constitue des états intermédiaires avec les autres aulnaies. Les peuplements herbacés à Cardamine amara et Chrysosplenium constituent, près des ruisseaux rapides et des sources, le stade initial. Dans les fonds plats marécageux, on passe à une forme d’aulnaie-peupleraie avec Equisetun maximum (prêle élevée). Les allées en étoile des forêts de chasse à courre, sur sols argileux inondés (haute Normandie, Compiègne, Retz, Saint-Gobain), régulièrement fauchées, constituent des laies à Carex strigosa ; leur évolution normale – sans fauche – conduirait à une aulnaie-frênaie à Carex pendula .Aulnaie-saussaie oligotrophe: aulnaie à sphaignesCe type forestier, relativement rare, implique une forte acidité du sol humide (pH voisin de 5); il est surtout présent quand un niveau de sources, sur argiles non calcaires, est surmonté de sables formant un podzol (ex.: niveau des argiles vertes sous les sables de Fontainebleau dans la région parisienne); mais il peut exister dans des mares acides en voie d’atterrissement (plateau de Brie, environs de Rouen, etc.). Il est fréquent dans les massifs hercyniens (caractères occidentaux et submontagnards).C’est un bois généralement dense et sombre, mais formé d’arbres malvenants avec buissons irréguliers et strate basse continue où dominent les sphaignes. Le nombre d’espèces est beaucoup plus faible que pour les autres aulnaies, par suite de la pauvreté du sol en éléments nutritifs. Sous les aulnes – ce dernier pouvant manquer dans les conditions les plus extrêmes d’acidité – on observe une strate herbacée et muscinale très spéciale, avec des Carex (C. stellulata, C. canescens ...), des fougères (fougère femelle, Polystichum montanum, Blechnum spicant , plus rares, aux pH les plus bas et tolérant un certain assèchement), de nombreuses sphaignes, un polytric dépassant parfois trente centimètres (Polytrichum commune ), des hépatiques...La présence de l’osmonde indique des conditions intermédiaires avec l’aulnaie-frênaie (pH entre 5 et 6): l’aulne est alors plus abondant.L’assèchement par drainage de l’aulnaie à sphaignes a été souvent réalisé, entraînant sa disparition; les quelques stations qui subsistent devraient être protégées, d’autant que leur surface est faible et que leur destruction aboutit à un type forestier qui n’est guère meilleur.Peuplements artificiels d’aulnesDans les forêts dont le sol a tendance à la podzolisation, la plantation d’aulnes peut freiner ou empêcher cette dégradation, d’une part en enrichissant le sol en azote par leurs mycorhizes, d’autres part en éliminant les graminées envahissantes comme la molinie. L’aulne glutineux convient particulièrement en sol humide, l’aulne blanc en sol plus sec et peut même servir à fixer des éboulis naturels ou artificiels (terrils).
Encyclopédie Universelle. 2012.